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Pourquoi je peins encore ? Et le postmodernisme…

Dernière mise à jour : 19 août



L'oeil qui voit sur font rouge
Francine Labelle, TENDRESSE, acrylique sur toile 2023, 77,5 cm 65 cm


Pourquoi je peins encore ? Et le postmodernisme…


Suite à une conférence de René Payant sur le « post-modernisme » s’adressant au profs d’arts plastiques du secondaire dans les années ’80, j’avais écrit ce texte où je sauvais ma peau et décidais définitivement de devenir prof de peinture. En le relisant aujourd’hui, j’ai envie de vous le proposer.

Voici

« Le tableau comme  fenêtre ouverte sur le monde, c’est terminé, dit-on

en art contemporain : place à l’installation »!

René Payant.

C’est quoi l’affaire ?

On croit depuis la Renaissance qu’un tableau est « une fenêtre ouverte sur le monde », c’est-à-dire qu’on organise la surface du tableau comme si ce qu’on voit sur le tableau se continuait mentalement en dehors du tableau, à l’extérieur du cadre. Par exemple, le ciel, la ligne d’horizon, le sol etc.

Le tableau découpe une partie de la réalité et suggère de par sa structure que cette réalité cohérente, qui se tient, se poursuit dans sa réalité propre, en dehors du tableau. Un paysage, un personnage etc.

Ceci présuppose... par conséquent qu’il y ait une réalité et que cette réalité se tienne.

Vous me suivez ?

De plus, un tableau réussi organise sa surface de façon consciente - il y a des règles qui changent selon les époques, ce qui fait les chicanes d’école. On prend soin que les quatre coins soient intéressants, que l’oeil se promène sur la surface avec plaisir et aisance et que le tableau « se tienne », qu’il fasse un tout. On appellera ça le modernisme.

Pour faire l’histoire courte, après le cubisme - on y reviendra - Greenberg à New York annonce que la  « fenêtre ouverte sur le monde », c’est terminé. Il faut s’en tenir à une définition plus littérale, plus banale de ce qu’est un tableau : un tableau, c’est une surface plane qui est limitée : « Flatness and delimitation of flatness. »

Nouveau credo de la peinture. Nous sommes dans les années '60. Un tableau n’est pas une fenêtre ouverte, c’est une surface plate. La clé maintenant pour faire de la peinture contemporaine : il faut éliminer tout ce qui peut créer l’illusion de la profondeur, de l’espace qu’on peut retrouver dans la dite réalité. Les tableaux de cette période ont épuisé toutes les possibilités imaginables pour revenir à la surface du tableau : dans le genre picoté, rayé, carotté, rien, ou presque rien, tout de la même couleur, des objets qui flottent sans se toucher, etc. Le blanc pur... Bref, on a tout essayé.

         Au Québec, ça s’est appelé le formalisme, que Jean Goguen a partagé d’ailleurs. Jusqu’à ce qu’en « 82, un mouvement d’artistes italiens, l’Arte Povera - annonce solennellement la mort de la peinture : tout a été essayé en peinture, faire différent, ça a été fait, on ne peut plus que se répéter. Il vaut donc mieux s’abstenir... La peinture se mourait, elle est morte. Point.

Et vint l’installation...

Pendant ce temps, au Québec, règne à la chaire d’histoire de l’art de l’Université de Montréal, feu René Payant, le maître à penser qui a formé la plupart des chroniqueurs en arts visuels de nos journaux.

René Payant, le funambule charismatique de l’absurde.

Votre humble servante, soucieuse et inquiète, terrifiée même - parce qu’elle aime la peinture et qu’elle ne voudrait pas faire de la peinture XIXe, elle voudrait être contemporaine - s’adonne à assister à une conférence sur le « postmodernisme » qu’il donne aux professeurs d’arts plastiques des écoles primaires et secondaires. On est le 18 octobre 1985 et je suis en maîtrise à Concordia en enseignement des arts plastiques. Je veux savoir c’est quoi le postmodernisme. Je suis servie et ravie : un concentré. Le credo de la pensée postmoderne en arts visuels.

La conférence s’intitule : « L’art aujourd’hui : l’hybride ».

René Payant y va avec cet énoncé lapidaire : «Pour le postmodernisme, il n’y a pas de transcendantaux. La recherche du bonheur est humaniste, et la peinture humaniste, cette

« fenêtre ouverte sur le monde » est défunte. »

Ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de « je », ni de « monde ». Il n’y a pas d’intériorité, ni d’extériorité. Il n’y a que des systèmes sur un chaos. Et le postmodernisme veut dénoncer la systématicité des systèmes (sic) : le fait que les systèmes sont historiques, qu’ils sont apparus et qu’ils vont disparaître…

« Oups ! » que je me dis.

Personne ne réagit.

Personne dans la salle ne comprend de quoi il cause. Il vient d’affirmer les prémisses à partir desquelles il fonde la suite de son discours...

Mais la petite, philo c’était son métier, et de plus, elle l’a faite à Strasbourg avec un disciple de Derrida, Philippe Lacoue-Labarthe. Et Derrida est devenu le maître à penser du postmodernisme (elle a appris ça à Concordia). Que c’est intéressant…

Fermons cette parenthèse justificative.

Qu’est-ce que ça veut dire un transcendantal ? Un transcendantal, c’est ce qui fonde, c’est ce sur quoi on s’appuie pour affirmer une vérité, mais qui ne peut pas vraiment se prouver. C’est le point de départ invérifiable. C’est ce qu’on admet comme donné au départ. Il y a eu Dieu. Il y a eu le « je pense, donc je suis », on pourrait dire qu’il y a la vie...

Parler de ça, ça s’appelle la métaphysique.

Mais, mon petit chéri, ton papa Derrida, il te l’a bien dit : nul ne peut prétendre échapper à la métaphysique, au délice ou à la torture du désir du sens. Toi qui parles en ce moment, crois-tu vraiment que ce que tu dis est vrai ? Et si tu le crois, tu es un transcendantal, tu te poses toi-même à l’origine de ton propre discours. Et si tu ne crois pas que ce que tu dis est vrai, alors tu mens, tu es un imposteur, ou... tu fais du théâtre - ce que je crois bien. Parce que René Payant faisait un bon show. Il avait du talent, c’était un grand acteur - qualité pédagogique importante.

Continuons avec la conférence.

Maintenant qu’on « sait » qu’il n’y a pas de transcendantaux pour fonder la réalité, c’est-à-dire que la réalité n’a pas de sens, (que c’est le fruit du chaos) et qu’on s’est fait berner par toutes ces histoires, l’œuvre postmoderne se devra de déconstruire le sens, de dénoncer l’horreur.... Elle se devra d’être « hybride ». Le « must ». L’hybride étant un être stérile : qui ne peut pas se reproduire. Il faut qu’on sorte d’une exposition en étant déstabilisé, avec une sensation d’inconfort.

Il faut donc créer des œuvres stériles, qui déstabilisent, qui créent un malaise.

Malaise dans la salle en effet. Ces jeunes et vieux professeurs qui enseignent en essayant de faire découvrir aux jeunes le plaisir de dessiner et de peindre - en tout cas je l’espère - commençaient à avoir la nausée. Ils n’étaient pas dans le coup, se sentaient ridicules et méprisés, voire déstabilisés.

La petite prépare sa vengeance :

« Monsieur Payant, au fond, ce serait génial de faire faire des installations aux jeunes du secondaire en pleine crise d’adolescence, ça exprimerait parfaitement ce qu’ils traversent. »

Pas content le monsieur. « Non, non, le postmodernisme, ce n’est pas une crise d’adolescence... »

C’est ça, nage mon chéri...

Moi, je venais de comprendre que je ferais de la peinture jusqu’à la fin de mes jours... sans demander la permission à personne.

Si le milieu et les chroniqueurs en arts visuels ont décidé de croire à la mort de la peinture, moi je décide que la peinture ne se laissera pas mourir comme ça par pur décret de quelques médecins légistes ... qui préfèrent râler sur les décombres d’un monde perçu comme une « dompe », une poubelle, plutôt que de travailler à en créer un vivant et écologique.

Moi je décrète, en tant que transcendantale (why not ?), que le monde resurgit de lui-même comme un théâtre infini auquel je participe, et si le plaisir réapparaît et donne envie de vivre et de créer, alors l’œuvre risque de ne pas être stérile, mais de devenir prégnante, auquel cas, « shocking », elle ne serait plus postmoderne, mais peut-être… contemporaine, simplement parce qu'elle est crée maintenant...

Qu’en dites-vous ?

 

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