Mais alors, qu’est-ce qu’un coloriste ?
- Francine Labelle
- 24 mai
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 mai

Voici la définition que nous en avait donnée Jean Goguen mon ancien prof aux beaux-arts:
«Est dit coloriste un tableau qui, si on le photographie en noir et
blanc, perd sa structure».
C’est-à-dire qu’alors on perd de l’information et que le tableau devient illisible
ou en tout cas ennuyeux et très affaibli. C’est donc dire que ce sont les
couleurs et non les valeurs qui structurent le tableau . Ainsi, si le tableau a
été construit en noir et blanc, puis qu’on l’a ensuite colorié, alors la structure est
assurément fondée sur les valeurs - foncé-pale - et non sur la couleur. Ingres par exemple.
Si le tableau est construit immédiatement avec la couleur et que ce
chatoiement des couleurs qui s’excitent l’une l’autre dans l’œil du peintre et le
transporte au paradis des jeux en valeurs-près et des subtilités et des
contrastes, si ce chatoiement donc joue sur toute la surface, alors oui, le peintre
est coloriste.
Est donc coloriste un tableau qui, photographié en noir et blanc, perd de
l’information essentielle. Je dis photographié et non photocopié parce que la photocopie ne décode pas les couleurs en valeurs (foncé-pale). L'ordinateur... euh j'ai essayé - voir ci-haut - c'est bizarre, mais c'est un peu moins juste que la photo.
L’excitation de l’œil qui recherche dans ce qu’il voit l’équilibre des trois couleurs
primaires dépendra donc de la physiologie des yeux qui regardent. Un daltonien
s’intéressera davantage à la forme. Un non daltonien sera excité par le jeu des
couleurs et des formes.
Mais il y a autre chose. Il y a l’expérience, plus ou moins nourrie, du fait de
voir. On va revoir avec plaisir des formes et des couleurs qui nous ont déjà fait
plaisir en relation aussi avec les émotions qui y sont rattachées. Je n’entrerai
pas ici dans les théories de l’acupuncture, avec la couleur associée à chaque
méridien, ni dans celles de l’Ayurveda indien et des couleurs rattachées aux
chakras, mais c’est assurément relié.
Tout ceci pour dire que notre relation avec ce qu’on voit est très
personnelle et que chaque personne perçoit à sa façon, nourrie de ses
expériences. Dans cette vision, il ne s’agit alors plus de reproduire la réalité
devant moi, ce qui est impossible, mais de choisir, dans ce que je vois, ce
qui m’allume. Et ce qui m’allume, c’est ce qui me saute aux yeux. Mon œil est
très compétent pour choisir ce qui est le plus intéressant visuellement pour lui.
Pendant ce temps, je ne vois plus le reste tant que ça l’intéresse. Puis mon œil a envie d’aller ailleurs. Où ira-t-il ? Pourquoi choisit-il de se poser sur ceci plutôt
que sur cela ? Ah ! C’est très particulier et oui, c’est très personnel.
Et la preuve qu’il s’agit d’une perception personnelle, c’est qu’on va savoir qui a
fait tel portrait, tout en reconnaissant la personne représentée sur le portrait .
Et si je décide, mettons, de faire un autoportrait par jour pendant un an, j’aurai trois
cent soixante-cinq portraits différents parce que l’œil ne supporte pas l’ennui. Il
sautera avec plaisir, comme sur une trampoline, sur les formes devenues
connues et ira se perdre dans de nouveaux problèmes de couleurs ou de formes
pour retrouver de l’intérêt, de l’excitation — en passant par la peur — la peur de
se fourvoyer, ce qui déclenchera les surrénales et mettra l’artiste en mode «audace».
Sinon, j’arrêterai de peindre et je tomberai en dépression, me sentant dans le
vide et sans soutien. À moins que ce vide ne me parle et que j’accepte d’y
plonger pour voir ce qui va arriver. Et alors, c’est reparti ! Quelle est la « couleur »
et la texture de mon vide en ce moment ? On y reviendra.
Revenons à la couleur.
Si ce phénomène de la rémanence se produit à temps plein, puisque notre œil
semble « voir » comme ça pendant tout le temps qu’on a les yeux ouverts, alors
la fonction de la rémanence serait de relier, d’associer les images perçues
entre elles. La lumière allume les surfaces et mon œil en perçoit les couleurs en
cherchant naturellement la complémentaire de la couleur qu’il perçoit
maintenant.
Sans doute, mais encore…
Qu’est-ce que je fais avec ma couleur ? Quelle forme est-ce que je lui donne ?
Je peux jouer en abstrait dans les textures, les effets de matière, suggérer des
espaces, des atmosphères, mais à un moment donné, le lobe droit désire
faire surgir des formes vues et alors le désir d’apprendre à dessiner devient
une urgence comme je l’ai dit plus haut. Et alors l’oeil va s’intéresser non
seulement à la rencontre des couleurs qui se cherchent l’une l’autre, mais aussi
à leur forme intrigante. Et c’est lorsque la forme devient vraiment intrigante
que le plaisir de dessiner s’ajoute au plaisir de «voir en couleur»…
Article Francine Labelle et tableau de Yves Durand
De la perte de sens dans le passage de la couleur en noir et blanc? Peut-on dire d'une artiste en arts visuels que c'est une coloriste, et qu'elle perd au change quand on se contente de la publier en noir et blanc. Luv yu dialect Francine!