
J’arrive d’une marche au soleil en ce dimanche lumineux. Le soleil éblouissant sur la neige ! Et les ombres portées, glaciales. Le contraste était saisissant : les blancs colorés chauds, en contraste sidérant avec les ombres portées glaciales. Et j’ai pensé vous refiler cet article extrait du livre que je suis en train d’écrire sur la couleur.
Les jaunes d’œufs de McEwan : les blancs colorés
Une de mes étudiantes qui suivait le cours de peinture de Jean McEwen à Concordia m’arrive un soir avec une toile produite dans son cours. McEwen voyant que ses étudiants ne percevaient pas leurs « blancs » comme colorés leur avait proposé ceci. J’ai trouvé ça génial et je l’ai aussitôt adopté. Merci McEwen.
Sur une nappe blanche et devant un fond blanc, vous déposez des assiettes, tasses et bols blancs.Tout est donc blanc. Si les assiettes et bols ne sont pas tous du même blanc, c’est encore mieux.
Et taram, taram dans une soucoupe, vous cassez deux œufs.
L’éclairage ne doit pas être flou. Il doit créer des ombres nettes. On le place de préférence d’un côté de la nature morte — on veut des ombres portées qui s’allongent un peu sur la nappe. De plus ça prend une ampoule électrique d’un blanc plutôt chaud, idéalement un «spot».
On est prêt !
C’est désespérément blanc. On attend un peu et on laisse l’œil se mettre au courant de la situation, puis « Go ! »
La seule couleur qui puisse exciter votre œil est le jaune des œufs.
La première tache que vous poserez sur votre toile sera donc le jaune, un jaune primaire ou un jaune de cadmium bien saturé. On peut prendre des œufs bio - qui sont plus jaunes — pour faire réagir votre œil immédiatement et le provoquer. À chaque fois que votre œil retournera sur la toile, il sera immédiatement happé par cette couleur puissante.
L’œil excité par le jaune va chercher du rouge et du bleu. Nenni. pas de rouge, pas de bleu, pas de couleur foncée, c’est désespérément blanc. On
Puis en regardant bien, le blanc de l’œuf semble se teinter, verdir un peu… alors on y va avec ce petit verdâtre.
Puis tranquillement les ombres portées par la vaisselle apparaissent en tons de gris en valeurs plus foncées. Et ces ombres contrastent avec des plages de lumière plus chaudes.
Et doucement ces ombres refroidissent, bleuissent. Tandis que le jaune vif de l’œuf continue de vouloir du bleu et aussi du rouge.
Et en même temps les différentes teintes de blancs de la vaisselle se nuancent et entre elles, et en relation avec la nappe blanche en lumière qui elle aussi se réchauffe parce que l’éclairage est « chaud », donc jaunâtre en contraste avec les ombres portées sur la nappe.
Et le fond blanc présente des ombres et lumières qui contrastent entre elles. Et ces différents blancs se mettent à réagir entre eux, des gris chauds très pâles, des gris froids très pâles aussi. Les ombres portées deviennent de plus en plus contrastées. On dirait qu’elles se mettent à foncer. Et elles foncent littéralement. On joue donc en même temps avec des contrastes de valeurs.
Et comme les gris sont faits de rouge-jaune-bleu ensemble avec plus ou moins de chaque couleur, tout ça noyé dans le blanc qui devient dans l’œil de moins en moins blanc, alors la nature morte s’éveille et devient de plus en plus fascinante.
C’est une étude parfaite pour apprendre à peindre la neige en hiver quand il fait soleil.
Pourquoi McEwen avait-il proposé cet exercice ? Pour que les étudiants apprennent à se servir du blanc et pour cela, à voir les blancs comme teintés, chauds et froids et dans toutes les nuances entre leurs différentes valeurs et couleurs.
Or le blanc pur désire le noir. Vous me suivez ?
Si on varie nos blancs dans un tableau, si on les enrichit parce qu’on se met à les percevoir comme plus chauds ou plus froids, l’œil va demeurer plus longtemps sur le tableau va chercher des ombres plus ou moins chaudes ou froides.
Si on y va avec du blanc pur à chaque fois qu’on voit du blanc, l’œil cherchera du noir pur. Il s’en ira dans les contrastes de valeurs seules et ne s’intéressera plus à la couleur. Et alors on aura envie d’affirmer les teintes foncées avec du noir ou de mettre du noir dans une teinte pour la foncer, ce qui va l’affaiblir en termes de contraste de couleurs. Ça devient banal pour l’œil qui va se lasser rapidement.
Si au contraire les blancs colorés jouent dans l’œil, en ombres et lumières contrastées et teintées, ces variations subtiles vont retenir l’œil parce qu’il sera intrigué par ces nuances qui ne cessent d’apparaître subtilement de plus en plus complexes.
Le noir veut du blanc pur et c’est parfait en dessin.
Mais en couleur, on veut que le blanc désire du chaud ou bien du froid, mais non pas du noir puisque l’artiste coloriste n’utilise pas de noir dans sa peinture, mais des foncés colorés pour que le plaisir se prolonge.
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